La question se pose régulièrement : comment montrer de l’intimité sur scène?
J’ai très rarement vu de beaux baisers en impro. J’ai vu beaucoup de main sur la bouche, de gens crispés, etc. J’ai aussi beaucoup entendu de gens qui étaient mal à l’aise à cause d’un improvisateur qui touchait beaucoup ses partenaire. J’ai entendu régulièrement des gens dire que c’est à la personne mal à l’aise de se forcer.
Ca me paraît être des mauvais comportements. Comment faire alors ?
On va utiliser la culture du consentement !
Les idées clés de la culture du consentement :
- Le consentement s’obtient en amont !
- Le consentement peut être verbal ou non verbal.
- Le consentement s’établit entre deux personnes.
- Le consentement peut être rétracté à n’importe quel moment.
- C’est la responsabilité de chacun de respecter les limites des autres.
- C’est toujours la personne qui outrepasse les limites de quelqu’un d’autre qui a tort.
Qu’est-ce que ça signifie en vrai?
Ca signifie que vous ne pouvez pas fixer des règles de groupe pour toute la troupe. On ne peut pas décider qu’au prochain spectacle, on s’embrasse tous avec la langue, et on se met des mains aux fesses. C’est une décision qui se prend à deux : quelle proximité physique on va avoir, qu’est-ce qu’on peut toucher, est-ce qu’on s’embrasse, comment on s’embrasse, etc.
J’encourage les gens à avoir des discussions à ce propos, mais le consentement peut être obtenu non verbalement. Si vous plaquez votre partenaire de scène contre un mur, et l’embrassez furieusement, vous prenez le risque d’outrepasser ses limites si vous n’avez pas obtenu de consentement verbal en amont. Si vous vous rapprochez et que vous laissez votre partenaire faire une partie du chemin et que vous allez tous les deux l’un vers l’autre, c’est une façon d’avoir un baiser consensuel non verbal.
Si vous vous posez alors la question : ben oui, mais si je veux justement faire une scène avec un baiser fougueux et surprise ? La réponse est simple : obtenez le consentement avant le spectacle verbalement (et ça peut être pendant un entraînement, juste avant le spectacle, juste avant la scène, etc…).
Certaines personnes peuvent penser que mettre de discuter des règles est compliqué et limitant. Mais c’est tout à fait le contraire. Il s’agit de créer un climat de confiance entre les improvisateurs pour explorer leur expression corporelle. Si je suis avec un partenaire et que je sais que c’est très important pour lui que notre interaction soit consensuelle, et qu’il souhaite respecter mes limites, je serais prêt à aller beaucoup plus loin avec cette personne qu’avec quelqu’un en qui je n’ai pas confiance. Si je n’ai pas confiance, le moindre contact physique va me donner envie de faire un bond en arrière.
Est-ce que ça va permettre que tout le monde soit à l’aise tout le temps ? Sans doute pas !
Même si on applique une bonne culture du consentement, il arrivera sans doute des moments où les limites des gens change, pour de nombreuses raisons : quelqu’un se blesse et ne veut pas être touché à certains endroits, quelqu’un a trouvé un amant et ne veut plus
embrasser d’autres personnes, etc. La nature du consentement est aussi parfois très complexe : dans notre communauté de danseur de Blues, nous dansons fréquemment avec un très fort contact physique, poitrine contre poitrine, têtes collées l’une à l’autre, et un peu plus d’espace pour les hanches et les jambes (voir la photo).
Pour autant, on serait tous très mal à l’aise de se toucher la poitrine les uns des autres avec nos mains. Donc poitrine contre poitrine, ça nous va, main contre poitrine, houlala!
Que faire donc quand quelqu’un est mal à l’aise et qu’une limite a été outrepassée?
Sur le moment, deux bonnes possibilités : corriger ou arrêter. Corriger peut être verbal “ta main sur ma cuisse me met mal à l’aise, est-ce que tu peux la mettre sur mon épaule plutôt ?”, ou non verbal *prendre la main sur la cuisse et la replace sur l’épaule*.
Arrêter avec un “Again” ou juste un “Scène”. Une mauvaise : serrer les dents et attendre que ça passe.
Comment réagir ? En discuter, si possible en étant spécifique : tu as mis ta main sur le bas de mes reins, et ça m’a mis mal à l’aise. Tu as touché ma bouche et ça m’a mis mal à l’aise.
Il est ensuite très important de ne pas réagir en étant sur la défensive et de culpabiliser la personne mal à l’aise. C’est la responsabilité de chaque individu de respecter les limites des autres, et même si c’est parfois difficile quand les limites changent beaucoup, c’est votre responsabilité… donc excusez vous !! “Je suis désolé de t’avoir mis mal à l’aise” / “Je suis désolé d’avoir mis la main sur ta bouche”.
Considérez ensuite cela comme la nouvelle limite : ne recommencez pas ! Pour toujours ? Non, pas forcément. Si vous souhaitez re-négocier cette limite, il est préférable que cela vienne de la personne qui s’est sentie mal à l’aise : “J’étais pas très à l’aise avec les baisers avant, mais maintenant, je veux bien essayer avec toi”. Ou de vous, mais commencez verbalement “J’aimerai qu’on reparle de nos contacts physique, est-ce que tu penses qu’on peut changer les choses sur les câlins?”. Évidemment, si vous essuyez un non, ne le remettez pas sur le tapis tous les deux jours.
(Attention, j’écris cet article en supposant que vous êtes dans environnement bienveillant avec la volonté de trouver et d’établir vos limites ensemble. La situation est très différente lorsque la personne qui transgresse vos limites le fait volontairement)
Alors oui, au début, ça paraît très étrange d’avoir comme conversation “Est-ce que je peux te toucher les seins sur scène?”, mais je peux vous assurer que ça créé un excellent climat de confiance et de liberté!
Pour finir, une citation d’une blogueuse : “Why settle for consent when you can aim for enthusiasm?”
Le pourquoi du comment ?
Cet article m’a été inspiré par un article que je lisais : Christine Angot critique le livre de Marcela Lacub sur DSK. L’article n’est pas directement lié à l’impro, mais elle a cette phrase qui a provoqué un déclic chez moi :
J’ai trouvé que c’était extrèmement pertinent. La plus part des mauvaises impro, de la mauvaise littérature, des mauvais films essayent de nous expliquer des pourquoi… Pourquoi Hitler était un homme mauvais ? Parce que ses rêves d’artistes ont été brisés… Parce qu’un juif n’a pas retenu la porte pour lui à l’entrée d’un magasin. Parce que sa mère ne l’embrassait pas assez… On finit avec des morales simplistes qui laissent un goût artificiel écoeurant dans la bouche…
En revanche, lorsqu’on essaye de montrer comment, on parvient à montrer l’immontrable. L’improvisation est alors un outil formidable, car il suffit de rester dans l’instant, de rester sincère et vrai, et de continuer la scène moment par moment, sans se projetter vers ce qu’on veut montrer, ni vers une morale qu’on veut tirer.