Pourquoi je n’enseigne pas « oui, et… »?

Je ne me rappelle pas avoir jamais enseigné « oui et… » mais il n’est pas impossible que je l’ai fait mes premières années d’improvisation.

Je n’ai jamais trouvé très pertinent de l’enseigner, voir même contreproductif, voilà donc les raisons pour lesquelles je n’enseigne pas l’incontournable « oui, et…

Un remède contre le symptôme et non contre la cause

« Oui, et… », c’est une bonne idée!

« Oui, et… » n’est pas une règle stupide. Les improvisateurs débutants ont tendance à être négatifs et averses au risque. Si on refuse toutes les propositions, on n’a pas besoin d’improviser ce qui se passe ensuite. On stage où l’on est. On a pas besoin d’écouter les idées des autres. C’est comfortable.

Du coup, la règle du « oui, et… » permet de contourner ce comportement. Et c’est très clair. Si vous faites jouer des gens, et que vous comparez les histoires qu’ils inventent en disant « non », « oui, mais », et « oui, et », on avance plus quand on utilise « oui, et ».

Pourquoi on dit « non »?

Oui, mais voilà, on a résolu le symptôme, et non la cause. Pourquoi les gens disent non? Parce qu’ils ont peur d’improviser, parce qu’ils souhaitent garder le contrôle de l’histoire, parce qu’ils ont peur de l’inconnu et de l’échec, parce qu’ils traitent les dangers imaginaires comme des dangers réels (je pars en courant si je rencontre un ours dans la forêt, alors que le théâtre raconte plutôt les histoires des gens qui ont essayé d’apprivoiser l’ours, de le chasser, ou autre interaction).

Travailler sur les causes

Et même si on soigne le symptôme, nos mécanismes de défense sont robustes et vont se manifester d’une autre façon que de dire « non ».

Il me paraît donc important d’attaquer directement le long et difficile travail de traiter les causes du « non » même avec des débutants.

C’est un travail de longue haleine d’aider quelqu’à changer son rapport à l’échec, d’abandonner son besoin de contrôle, de se lancer dans l’inconnu. Je préfère donc l’attaquer dès le premier jours avec les élèves plutôt que de couvrir le symptôme et de laisser ce travail à leur prochain prof. Je pense aussi que c’est ce travail qui est le plus transformatif et qui nous a fait changer et aimer l’improvisation.

Un remède avec des effets secondaires

Développer une culture où on dit oui par défaut pose à mon avis trois problèmes importants:

  • Le consentement est plus difficile à obtenir
  • On apprend jamais à inspirer ses partenaires
  • Dire « non » est un point crucial de certaines histoires

Consentir, c’est pouvoir librement dire oui ou non

Si tout le monde dit oui à tout, il devient plus difficile de dire non. S’il est difficile de dire non, on se retrouve plus facilement à embrasser quelqu’un dont on avait pas vraiment envie, jouer une prostituée alors qu’on était rentrée pour jouer la patronne, etc… Plus d’idées sur la question ici.

Apprendre ce qui plait à mes partenaires, c’est aussi apprendre ce qui ne leur plait pas

Si tout le monde dit oui à tout, on apprend jamais ce qui plait vraiment à nos partenaires. J’ai envie de jouer avec mes partenaires des histoires qui nous plaisent à tous les deux, des histoires portées par notre enthousiasme, des histoires qu’on se re-racontera avec nostalgie autour d’une bière. Je n’ai pas envie de les traîner dans mon univers à contre cœur. Et pour apprendre ce qui leur plait, il faut qu’ils puissent dire non à mes idées qui ne les inspirent pas.

Refuser est indispensable à certaines histoires

  • « Pour célébrer ces 10 ans d’amitié, j’ai décidé de partir avec ta femme. Ca ne te pose pas de problème? »
  • « J’en peux plus, je te quitte, je pars avec le chat »
  • « Bonjour, je suis là pour saisir votre maison »

Ces 3 propositions ont comme point commun d’être probablement plus riches narrativement si elles sont refusées.

Ca ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire des scènes hilarantes ou des scènes d’expositions en acceptant ces propositions, mais refuser certaines propositions montre que votre personnage tient à quelque chose. Qu’il y a quelque chose d’important pour lui, et qu’il se battra pour le garder. Il est donc crucial d’avoir des personnages qui refusent.

Pourquoi je dis non?

Il m’arrive régulièrement de dire non sur scène, et ça peut venir de plein de sources:

  • J’ai peur d’où irait l’impro si on prenait ce chemin
  • J’ai une idée en tête vers laquelle je veux aller
  • Je refuse une idée qui ne m’inspire pas
  • Je refuse une proposition qui me mettrait en danger physiquement ou émotionnellement
  • Je refuse une proposition qui me paraît diminuer les enjeux de l’histoire
  • Je refuse parce que mon personnage n’accepte pas la situation à laquelle ille fait face.

Bien que je travaille toujours pour éviter de dire non pour les 2 premières raisons, je pense que les autres sont très importantes, et qu’il est important d’éliminer des idées parfois. De la même façon qu’on édite un texte de théâtre, nous avons un outil d’édition instantané dans le « non »

Le mot de la fin

Il existe de nombreuses idées autour de cette notion. Il y a pour moi différent niveaux de compréhension et de complexité de la règle

  1. Dire oui en tout circonstance (on dit systématiquement oui)
  2. Accepter la réalité établie par l’autre (on peut dire non, mais on ne peut pas nier le fait qu’il y a un banc mimé par notre partenaire)
  3. Accepter la proposition (on peut dire non, mais on accepte la proposition de l’autre. Parfois, accepter la proposition de l’autre implique de répondre non. On joue ensemble)
  4. Dire oui à la personne mais pas forcément à l’idée

Ce 4ème niveau est celui que je veux pratiquer et enseigner. Je joue avec un partenaire avec qui je suis ouvert, réceptif. Nous travaillons ensemble avec un modèle d’abondance: « Tiens, voilà une idée, elle te plaît? Non, t’inquiète, j’en ai d’autres, et je vais me régaler à apprendre ce qui te plaît. Ah, merci pour cette idée, c’est chouette, mais ça m’inspire pas, merci d’avoir essayé. »

Comment enseigner cet esprit…? Ça… J’ai des idées, vous mes dîtes oui ou non?

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