Politique, brulot et art

La politique, c’est important pour moi, et donc je réfléchi depuis longtemps à sa place dans l’impro et l’art.

Après avoir lu une pièce écrite par une de mes élève dont l’aspect politique était très intéressant, et suite à l’éclosion de PayeTonImpro, j’avais envie de clarifier ma pensée au travers un article.

La politique et l’art font-ils bon ménage ?

Avant d’entrer dans la question, quelques définitions et nuances.

  • Politique: je le prendrai dans son sens le plus général, c’est à dire tout ce qui touche à l’organisation de notre société. Ça ne touche pas qu’à la loi, mais aussi aux habitudes et règles culturelles que nous établissons en communauté.
  • Politique des partis: c’est un sous ensemble qui touche spécifiquement aux parti politiques.
  • Militantisme: une forme d’expression qui cherche à promouvoir une certaine conception de la société.

L’idée d’aller mélanger art et politique est franchement dérangeante pour beaucoup. Pour ceux et celles là, l’art doit rester un objet pur loin de la souillure de la politique. De mon côté, je ne pense pas que nous ayons le choix : la politique est toujours présente dans l’art.

Je parle bien ici du sens général de la politique, et ça commence avant même le début du spectacle : est-ce que vous jouez un spectacle gratuit dans un quartier populaire, ou à 25€ dans un théâtre situé dans un quartier bourgeois? Est-ce que votre troupe est représentative de notre société en terme de genre, d’orientation, de couleur de peau, de religion? Le simple fait d’avoir 5 hommes sur scène sans femme a tout un tas d’implication sur quel point de vue va s’exprimer pendant le spectacle.

Elle continuera dans le contenu: quelles représentations sont présentées sur scène, et sur quel ton? Est-ce que les gens riches sont représentés de façon systématiquement positive, négative, ou est-ce nuancé ? Est-ce que toutes les relations romantiques sont hétéros? Est-ce que les femmes ont des positions de pouvoir ou est-ce qu’elles sont dans la dichotomie mère/objet de désir?

L’idée qu’il pourrait exister une neutralité politique me paraît totalement incongru : on parle toujours avec un point de vu. Le fait qu’il soit majoritaire ne le rend pas pour autant neutre. La moitié des français pensent qu’il y a trop de Roms en France, et je ne pense pas pour autant que ce soit une opinion neutre.

Bref, vous parlez toujours avec un point de vu, et vous allez toujours faire passer un message implicite, donc assurez vous qu’il soit en accord avec vos valeurs.

Quand l’art devient un brulot

Et pourtant… C’est si facile de faire du mauvais art militant. Croyez-moi, j’en ai fait des scènes artistiquement creuses.

Dans les scènes que je trouve artistiquement (et politiquement) inintéressante :

Les scènes qui se veulent politique, mais enfoncent des portes ouvertes. Jouer une énième scène où l’oncle raciste dit à sa fille que si elle épouse un noir, il la déshérite… On l’a vu des dizaine de fois, on peut tous se dire « ah, c’est oncle est un gros raciste, nous on est les gentils ». Là où l’art et la politique deviennent intéressante, c’est s’il met mal à l’aise votre public, si votre public ressort en se posant des questions ou en reparlant d’une scène. Pour ça, il faut parler de sujets qui sont pertinents pour vous et votre public. Je pense également que les scènes sont plus réussies quand elles posent des questions sans apporter de réponse.

Ce qui m’amène au deuxième type : les scènes trop explicites ou caricaturales. Un personnage va s’engager dans une tirade écolo qui explique pourquoi il faut absolument mettre des ampoules LED pour conserver de l’énergie et sauver la planète. Là, on rentre dans un message purement politique qui perd son côté artistique. Je pense qu’on reste dans l’art si on traite de la dimension émotionnelle des choses, si on prend des métaphores, si on transforme, si on explore… moins quand on récite des discours intellectuels. Bref, sur le réchauffement climatique, je préfère voir une scène entre deux iceberg qui se disent adieu que de voir un coloc fustiger les autres personnages de la scène parce qu’ils sont pas végétariens et qu’ils ont une voiture qui pollue. Et dans la continuité de cette idée, je pense que c’est important d’avoir des personnages nuancés. Les caricatures ne servent rarement ni l’art, ni la politique. Bref, j’ai beau croire dans toutes ces belles choses, je suis rarement sorti satisfait de scènes que j’ai utilisé comme pupitre politique que comme exploration de question dont je n’ai pas la réponse.

Une de mes élève a écrit une première pièce qui utilise un mécanisme que j’ai trouvé intéressant. Un des personnage joue sur nos stéréotypes et les caricatures que nous nous faisons des étrangers, et on découvre que c’est un stratagème qu’il emploie et qu’il est en fait bien plus nuancé, de façon assez semblable au sketch de Frédéric Chau.

L’art engagé

Malgré cette dernière partie, il existe de l’art très engagé, et même militant, que je trouve absolument formidable.

Augusto Boal me vient en tête : il a développé une forme de théâtre improvisé qu’il a utilisé d’outil de libération du prolétariat. Il allait jouer des scènes dans les usines et invitait à participer les ouvriers pour les entraîner à s’opposer à leur patron.

Je pense aussi à certains artistes de rue : Banksy et Miss.Tic.

Banksy ou le Copyright is for losers | ACBM Avocats

Cette oeuvre de Banksy me parle tout particulièrement, et je trouve qu’elle correspond assez bien à mes valeurs de bon art politique : l’oeuvre ne vous colle pas un message trop explicite dans la figure, mais laisse beaucoup d’espace pour se projetter. J’y vois un appel à la lutte, mais une lutte farouche à coup de « bouquet de fleur » sur lesquel je projette une positivité. La notion que c’est un acte radical dans notre société que d’être doux.

https://s.rfi.fr/media/display/0891b002-d9c5-11ea-a33e-005056a98db9/w:1280/p:4x3/expo-banksy-paris-2020_0.jpg

J’ai mis celle ci de Banksy aussi parce que elle touche à la notion du début de cet article : le choix de votre moyen d’expression, de votre public, du lieu, du prix, etc. est un choix politique. Pourquoi l’art du rue tend à être politique : il est illégal et conteste un ordre établi, il est gratuit, ouvert à tous les passants. On ne change pas le monde avec une toile exposée dans une galerie privée fréquentée par des gens riches, en revanche, le graffiti et l’occupation de l’espace public ont été des outils politiques de propagande et de lutte politique dans bien des cas.

Street art : au gré des rues de Paris, les oeuvres murales de Miss Tic,  poétesse féministe ! - Paris Secret
Les artistes - Critères éditions

Miss.Tic décorait les murs de mon quartier d’enfance (dans les années 90) et faisait ces pochoirs de femme avec des messages puissants. De la même façon, on peut projeter beaucoup de choses derrière son écrit, mais avec souvent un élément saisissant. De plus, rien qu’avoir des représentations de femme sur les murs de Paris qui ont tendance à être sous représentées dans l’art de rue était en soi une réclamation politique.

La politique commence dans la salle d’entraînement

L’apparition récente de Paye Ton Impro rend très clair que nous pouvons faire mieux sur comment on traite nos partenaires d’improvisation.
Je pense qu’il est grand temps de faire un point sur nos valeurs, et comment elles se retranscrivent dans nos attitudes hors scènes et sur scène. A ce sujet, je tiens également un autre site saferdance.com qui traite de la prévention du harcèlement dans le milieu de la danse, mais qui contient beaucoup d’information pertinentes pour un théâtre, une école, ou une troupe.

Je pense que c’est aussi important de parler de ce qu’on connaît bien… Certains sujets chauds de l’actualité peuvent être séduisants, mais si vous ne partez pas d’une position de connaissance et/ou d’empathie, votre contenu sera probablement bourré de clichés et de sétéréotypes. Est-ce vraiment ça que vous souhaitez véhiculer?

Bref, tout ça pour dire que quand on parle d’art et de politique, je n’ai pas de certitudes, mais que je suis plus satisfait de mes scènes quand elles sont en accord avec mes valeurs, nuancées et qu’elles posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponse.

Et vous? Qu’est-ce qui marche pour vous?

2 commentaires sur “Politique, brulot et art”

  1. Merci pour cette article trop intéressant ! Je suis grave d’accord, et j’ajouterais aussi que quand on est trop « dans ta face », ben ça peut soûler les spectacteur.rices, voir les mettre dans une position de réactance !

    Par exemple, perso je me considère totalement féministe, mais je suis trop soulée des films avec un « Strong Female Character » qui n’a aucune profondeur à part ça, et ça en devient un trope voir un cliché… l’intention est souvent bonne, mais on veut des personnages aussi nuancés que les personnages masculins !
    Et ça donne vraiment une impression de « dans ta face » qui même moi, alors que techniquement je suis censée être du même bord que ces idées, ben ça me soule et ça me met en réactance ! Alors imagine quelqu’un qui n’est pas féministe…

    Donc en gros, non seulement comme tu l’expliques bien être « trop politique » peu amener à être moins artistique, mais en plus ça peut être contre productif haha

    1. Oui, c’est clair… Pareil! La Super-héroïne qui sauve son mec en lançant une petite phrase clichée, j’ai trouvé ça top les 2/3 premières fois, mais c’est devenu rapidement une platitude pas très intéressante.

      J’ai tendance à préférer les médias qui décentrent totalement leur propos, récemment, j’ai regardé Atlanta qui ne parle pas de personnages blancs ou encore Dollface qui ne parle pas vraiment de personnages masculins à part dans la relation qu’ils ont aux personnages principaux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.