A la limite

Hier soir, on s’entrainait à jouer un Harold, et on a tenté des nouveaux jeux de groupes. Des meta-jeux, que vous aurez l’occasion de découvrir en spectacle.

Je ne veux pas déflorer trop la surprise, mais suite à ces jeux, Haroun nous disait que lui n’aimait pas trop lorsque les joueurs sur scène repassaient côté acteur.

A l’inverse, mon sentiment était que pendant ce jeu, nous restions dans un jeu d’improvisation.

Et quelque part, on touche là une question qui nous intéresse au plus haut point : qu’est-ce que l’impro ?

La page wikipédia dit que l’impro c’est lorsque « L’acteur joue sans texte prédéfini, sans mise en scène préalable, selon son inspiration »

Mais à ce moment là, comment faire la différence avec toutes les interactions que nous avons tous les jours, qui sont sans texte prédéfini, sans mise en scène préalable, et selon son inspiration ?

La réponse qui vient spontanément, c’est de se dire que lors de l’improvisation, on incarne un autre personnage que soi même, on invente des histoires.

Ne nous arrive-t-il jamais de mentir tous les jours, et d’inventer des histoires ? A l’inverse, lorsqu’on est sur une scène, je pense qu’on reste beaucoup plus soi que ce qu’on ne veut bien le croire. Même si on modifie son attitude corporelle, sa voix, ses gestes, toutes les émotions et les impulsions qu’on met dans notre personnage viennent du plus profond de nous.

C’est peut-être parce que je suis un piètre acteur, mais lorsque je joue quelqu’un en colère, ce n’est pas en simulant la colère (parler fort et vite), mais en allant puiser au fond de moi la sensation, le visage qui chauffe, les muscles qui se tendent. Il n’y a rien qui m’épuise plus que l’exercice des carrés d’émotion, car ce feu d’artifice d’émotions qui je finis par vivre me vide ! Comme lorsqu’on s’endort après avoir pleuré quand on est petit… un sommeil de plomb qui vient d’un véritable épuisement.

Bref, la frontière entre l’acteur et le personnage ne me paraît pas si claire que ça. Surtout qu’entre deux impros, lorsque nous sommes sur une scène, nous ne nous comportons pas vraiment comme nous le ferions hors d’un spectacle. On parle fort, on est dans un état d’excitation et d’attention poussé, …

Ce qui m’amène à ce qui fait véritablement l’improvisation : le public. Le simple fait de rajouter ce regard extérieur, qui ne participe pas, crée l’improvisation.

Pas besoin de scène, pas besoin de thème, pas besoin d’histoire, le simple fait d’avoir un regard extérieur clive la vie de tous les jours et l’improvisation. Un joueur qui reste 2 minutes en silence, sans bouger, s’il n’avait pas prévu de le faire 15 secondes avant, et s’il est regardé, il improvise… S’il est tout seul, appelez l’hôpital !

C’est pourquoi, pour en revenir au point de départ, je pense qu’on peut se permettre dans une temps circoncis de s’exprimer en tant qu’acteur, car la simple présence de personnes qui observent rendent ce fait « spectaculaire » (plutôt dans le sens qui relève du spectacle).

Ainsi, je pense que ça revient simplement à jouer nous même, et non pas être nous mêmes !

Est-ce que ça brise l’histoire qu’on est en train de raconter ? Le public nous le dira…

0 a commenté sur “A la limite”

  1. Directly from the guru:

    « We hardly ever play characters, really, because we realize that the characters we play are subsets of ourselves. They’re just ourselves in slightly different moods. Ourselves carrying a little more emotional freight. »

    Je suis partisan de cette façon de faire des personnages (cf. http://lecaucus.wordpress.com/2008/12/29/porter-ses-personnages-comme-un-manteau/). Faire un personnage, c’est avant tout l’acteur sur scène, mais en un peu différent. Et non un masque inamovible qui nous change complètement. Cette approche permet d’avoir des réactions plus « vraies » de réagir par rapport à nos propres émotions sur le moment. Le public se sent également plus proche. La frontière acteur/personnage est moins épaisse.

    Maintenant, sur le fait d’amener l’acteur pur sur scène au milieu d’un spectacle, je ne suis pas contre personnellement. C’est même une des spécificités de l’impro: on cherche à voir la « prouesse » de l’acteur qui improviser. Tout dépend du format.

    Mais ça ne doit pas légitimer le décrochage et le fait de commenter la scène ce qui détruit la réalité de la scène. On peut briser le quatrième mur (http://fr.wikipedia.org/wiki/Quatri%C3%A8me_mur) mais avec parcimonie.

    Et bien sur, j’aime aussi dans les formats qui s’y prêtent jouer des personnages bien batis, forts voir caricaturaux et tenir ces personnages. Tout dépend du rendu qu’on souhaite obtenir sur un spectacle particulier. Mais d’une manièe générale, j’essaye de « porter mes personnages comme un manteau ». Faut pas que ça devienne une excuse pour ne pas jouer non plus, bien sur.

    Sinon, comme ça fait longtemps qu’il n’y a pas eu de nouveau blog de réflexion sur l’impro, je commente beaucoup vu que je n’ai pas trop eu l’occasion d’entrer dans des débats d’impro sur internet depuis un moment…

  2. J’adore pas les décrochages, volontaires ou pas…

    Mais parfois, je me dis que ça pourrait être intéressant pour le public de nous voir discuter des scènes. Comment se forment les idées, qu’est-ce qu’on se dit avant de monter, quels sont les éléments qui nous amène à penser, ou imaginer, ce qu’on avait l’intention de faire et ce que c’est devenu… Sans en abuser, mais une fois de temps en temps, rentrer dans la tête des improvisateurs…

    Enfin, on va tester, et on fera un retour d’expérience 😉

    Sinon, c’est super cool de commenter, on est vraiment là pour ça, j’espère qu’on arrivera à trainer d’autres gens dans nos réflexions !

  3. Bonsoir,

    Bon j’amène un comm mais on se connait un peu…

    Je partage l’avis de Ian

    « Maintenant, sur le fait d’amener l’acteur pur sur scène au milieu d’un spectacle, je ne suis pas contre personnellement. C’est même une des spécificités de l’impro: on cherche à voir la « prouesse » de l’acteur qui improviser. Tout dépend du format. »

    Le décrochage doit être maitriser, mais si il reste positif il peux donner une complicité entre les joueurs et je crois que le public aime et ressens ca.
    Mais il doit être maitrisé…

    En ce qui concerne la distanciation de l’acteur,
    Il s’agit d’un thème récurrent notamment au théâtre. Je crois qu’on peux jouer des personnages crédibles sans puiser dans nos propres émotions.
    Ma manière d’être en colère dans la vie et sur scène et radicalement différente. C’est justement du fait de cette distanciation que je le fais différemment.
    Je souhaite maintenir la distanciation « Je ne suis pas en colère c’est mon perso qui est en colère ».

    Il y a des clés de réponse dans le « paradoxe du comédien » de Diderot sur ce sujet.

  4. Je trouve ça très intéressant, et ça fait longtemps que j’avais envie d’en discuter avec quelqu’un qui fait du théâtre.

    J’ai du mal à faire la différence entre la vraie colère et celle sur scène, à part que je la maîtrise plus, et que je peux la faire monter ou descendre comme je veux. Mais c’est sans doute une approche un peu naïve. Sans doute que les théâtreux ont une approche très différente !

  5. Un commentaire sur le paradoxe du comédien qui traite je crois des questions que tu poses.
    Il y a des éléments de réponses chez stanivslawsky aussi dans la formation de l’acteur et dans la construction du personnage.

     »
    « être sensible est une chose, et sentir est une autre. L’une est une affaire d’âme, l’autre une affaire de jugement » . Sentir n’est pas être sensible, observer n’est pas ressentir et le fait de savoir toucher n’est pas celui d’être touché. Il existe ainsi une sorte de dissymétrie entre les fonctions de la sensibilité dans la création et dans la contemplation artistiques – dissymétrie ou plutôt complémentarité qui est celle de l’activité et de la passivité. A la limite, on retrouve presque entre le spectateur et l’acteur la différence de la matière inerte et de la matière animée : chez l’un, la sensibilité est passive et informable tandis que chez l’autre, elle est active, informante et créatrice. Il est ici question d’immédiateté du sentiment et, là, d’un rapport sensible au monde, au public et à soi-même médiatisé par l’observation, l’imagination et la réflexion. L’insensibilité essentielle au grand comédien ne désigne donc pas l’absence de sensibilité mais celle de passivité dans l’expérience sensible : « La sensibilité, selon la seule acception qu’on ait donnée jusqu’à présent à ce terme, est, ce me semble, cette disposition compagne de la faiblesse des organes (…), qui incline à compatir, à frissonner, à admirer, à craindre, à se troubler, à pleurer, à s’évanouir, à secourir, à fuir, à crier, à perdre la raison, à exagérer, à mépriser, à dédaigner, à n’avoir aucune idée précise du vrai, du bon et du beau, à être injuste, à être fou » . L’insensibilité du comédien désigne a contrario la sensibilité en tant qu’elle se retourne du toucher vers le tact, de l’affection vers l’observation ou de l’émotion vers le goût et le jugement. « 

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